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Entretien avec François Langot

Decryptage #3

Entretien avec François Langot

Magazine Science & Société | Décryptage #3 | Rupture[s]

Faire face aux ruptures, c’est aussi oser dire ce que les résultats de ses propres recherches affirment, en s’affranchissant des idées préconçues, voire populaires.

Illustration avec François Langot, enseignant-chercheur en économie et directeur adjoint de l'Institut du Risque et de l’Assurance, sur les sujets qu’il développe, dont un, qui fut d’actualité en 2023 : la réforme des retraites.



Quel sens attribuez-vous au mot « rupture », dans le contexte de votre domaine d’étude ?

La première catégorie majeure de rupture à laquelle je pense est d’ordre technologique et organisationnel. Elle est liée au développement des activités de recherche et développement : je peux citer par exemple la mise sur le marché du premier ordinateur en 1974 ou plus récemment, la généralisation du télétravail.

Ensuite vient la deuxième catégorie de rupture qui concerne l’adaptation de l’État, face à ces bouleversements, dans la gestion des risques : les réformes de la protection sociale.

 

Dans le cadre de vos travaux de recherche passés et actuels, quand avez-vous identifié des ruptures majeures ?

En tant que chercheur en sciences sociales, la première rupture à laquelle j’ai été confrontée était déjà liée à la réforme des retraites. Nous avions constaté, démographes et économistes, que les réformes adoptées par l’État dans les années 80, notamment l’abaissement de l’âge de départ à la retraite en 1982 (passant de 65 ans à 60 ans), étaient insoutenables du point de vue des finances publiques.

Dès les années 90, un plan de sauvetage » a été mis en place, afin que les régimes de retraite ne tombent en déficit. Sans cette réforme, la dépense liée aux retraites représenterait aujourd’hui environ 20 % du Produit Intérieur Brut (PIB), alors que les recettes venant des cotisations ne dépasseraient pas 11 % du PIB !

La rupture était évidente entre la réalité Des données économiques et un « rêve Français » dans lequel le départ à la retraite à 60 ans serait facilement finançable.

 

Quel est votre point de vue sur la réforme des retraites mise en place par le gouvernement d’Élisabeth Borne ?

Cela n’a pas de sens de se poser la question de la pertinence de la réforme car, sans elle, nous aurions été confrontés à des déficits importants. Les débats houleux dans les médias se sont concentrés sur des détails de la réforme alors que la plupart des Français ne connaissent pas le nombre de personnes en âge de travailler pour financer les retraites.

C’est une simple « règle de trois » à appliquer : si chaque personne cotise 25 % de son salaire auprès des caisses de retraite, trois personnes doivent travailler pour financer une seule retraite équivalente à 75 % du salaire. Or, démographiquement parlant, cette configuration est impossible. Sans cette contrainte dans la discussion, le débat était biaisé.

 

Sans avoir de connaissances approfondies en économie, certaines personnes exprimaient simplement le fait qu’elles n’avaient ni l’envie ni la force de travailler jusqu’à 64 ans, qu’en pensez-vous ?

Si ces personnes veulent partir avant l’âge légal, elles sont libres de le faire. Je suis très libéral de ce point de vue. Mais la collectivité n’a pas à financer leur départ anticipé, il est donc nécessaire de déterminer ce que la collectivité peut réellement supporter.

"Retraites : Ma parole n’est pas forcément dans l’air du temps."

Revenons aux ruptures technologiques, quelles sont leurs conséquences sur le marché du travail ? 

Quand j’étais jeune, dans le Nord de la France, les usines fermaient en cascade. C’est d’ailleurs cette période de chômage de masse, concentré sur les ouvriers, qui m’a incité à étudier l’économie.

Avec l’avènement des nouvelles technologies, le chômage s’est ensuite propagé dans les classes dites « moyennes », par exemple dans le secteur de la distribution. Cela a créé un profond sentiment de déclassement parmi les travailleurs, qui se pensaient à l’abri des secousses économiques grâce à leur niveau d’éducation (au moins le baccalauréat). Les emplois sont devenus conditionnés aux aides gouvernementales accordées aux entreprises.

Cette situation était encore plus prégnante pour les individus de plus de 45 ans, qui éprouvaient des difficultés à s’adapter aux nouvelles technologies.
La retraite est alors apparue comme un refuge mais, au même moment, l’espérance de vie a augmenté, passant de 75 ans à 83 ans. Par conséquent, la recette consistant à faire partir massivement les travailleurs en préretraite ne pouvait pas fonctionner.

 

Au-delà des ruptures que vous avez observées, quelles sont celles que vous anticipez ?

En tant qu’économistes, nous sommes souvent confrontés à un décalage entre les inégalités effectives et perçues. C’est peut-être l’aspect qui m’a le plus choqué dans ma carrière.

Lorsque l’on examine les données françaises et leurs évolutions ces cinquante dernières années, nous constatons que les inégalités demeurent faibles et n’ont pas augmenté. La France a mis en place d’importants mécanismes de redistribution, contrairement aux États-Unis.

Si l’on considère les revenus du dernier décile (entre 1100 et 1200 euros), ceux issus du travail ne sont que de 300 euros, le reste (75 %) venant de la redistribution. Néanmoins, malgré le maintien de leur emploi et le respect d’un salaire minimum, de nombreuses personnes comprennent que leurs revenus sont supérieurs à leur productivité réelle, ce qui engendre chez elles un sentiment de déclassement.

 

  Lorsque vous vous positionnez de façon libérale sur la réforme des retraites, ou bien lorsque vous dites que les inégalités sont faibles en France, vous pouvez vous heurter à une forte opposition. Comment faites-vous face a cela ? 

Je ne le vis pas nécessairement bien, car Je travaille depuis 1998 sur les questions de retraite et je pense avoir une bonne compréhension du système. J’ai soumis mon dernier article de presse à six journaux avant qu’il ne soit accepté ! Toutefois, je n’ai pas changé de ligne pour autant. En tant que chercheur, ma parole est libre, et je m’exprime en me basant sur les données disponibles. Si ma parole n’est pas politiquement correcte ou dans l’air du temps, tant pis.

 

Vous vous investissez également dans des travaux liés aux questions environnementales, n’est-ce pas ?

Oui, c’est une nouvelle rupture à laquelle nous sommes confrontés. Malheureusement, le travail de pédagogie n’a pas été fait et le niveau culturel des Français est très faible sur ces problèmes. Les revendications contre l’écotaxe en 2013 ou plus généralement contre la hausse des prix de l’énergie (gilets jaunes en 2018, colère contre l’inflation aujourd’hui) peuvent sembler incompréhensibles aux yeux des autres pays.

Il est impératif que tous les individus participent aux efforts pour la planète. De son côté, l’État y participe avec par exemple le plan « France Relance » (qui représente un effort de 100 milliards d’euros et qui a été lancé en 2022 suite à l’épidémie de Covid-19, NDLR), en grande partie orienté vers des mesures écologiques.

 

François Langot, enseignant-chercheur en économie, directeur adjoint de l'Institut du Risque et de l’Assurance et directeur de l'Observatoire Macro du CEPREMAP
Laboratoire de recherche en économie GAINS 

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