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À quoi ressemblerait l’économie française sans bouclier tarifaire ?

À quoi ressemblerait l’économie française sans bouclier tarifaire ?

En 2021, les prévisions de croissance étaient de 6,2 % pour 2022 et de 3,7 % pour 2023, selon la Banque de France. En 2022, ces prévisions de croissance ne sont plus que de 2,85 % et 1 % pour ces deux mêmes années (prévisions inscrites dans la loi de finances 2023).

 

Cette forte réduction de la croissance est due principalement à la guerre en Ukraine qui a induit des problèmes d’approvisionnement énergétique. Dans ce contexte où faible croissance et inflation coexistent, le pouvoir d’achat est alors doublement réduit, par la hausse des prix à la consommation et par une activité, au ralenti, évinçant les progressions salariales.

Dès la fin de l’année 2021, le gouvernement français avait mis en place un bouclier tarifaire qui réduit le prix d’achat des produits énergétiques. En 2022, avec 6,4 %, l’inflation française est en conséquence significativement plus faible qu’en Italie (8 %), en Allemagne (8,3 %), en Belgique (10,3 %) et aux Pays-Bas (12 %).

Cette exception française ne conduit pas son économie à croître moins que celle de ces voisins, une plus faible inflation pouvant en effet révéler une demande en berne. Ainsi, la croissance allemande est prévue à 1,8 % pour 2022 et 0,3 % pour 2023, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Il y aurait eu moins de croissance

Afin d’évaluer la contribution du bouclier tarifaire dans l’explication de ces performances économiques, on doit répondre à deux questions : (i) que se serait-il passé si le bouclier tarifaire n’avait pas été mis en place en 2022 et en 2023 ? ; (ii) que se passera-t-il s’il n’est pas reconduit en 2023, sachant qu’il s’est appliqué en 2022 ?

Pour un coût budgétaire que nous évaluons à 58 milliards pour 2022 et 52 milliards pour 2023, le gain de croissance serait de 1,75 point pour 2022 et de 0,08 point pour 2023. Ce surplus de croissance induit par le bouclier tarifaire est obtenu dans un contexte d’inflation « contenue » : cette mesure aurait réduit l’inflation de 1,1 point en 2022 et de 1,8 point en 2023.

 


Notre évaluation de l’impact du bouclier tarifaire sur l’inflation, publié dans une récente note du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) est donc plus faible que celle de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). En effet, les reports de consommation qui contractent la demande courante et donc réduisent les tensions inflationnistes sont ici pris en compte, ainsi que des baisses de marges concédées par les entreprises dans ce contexte de forte hausse des coûts.


La boucle prix-salaires se serait activée

Le succès du bouclier tarifaire tient à son rôle de frein dans la boucle prix-salaire. Sans cette mesure, les plus fortes tensions inflationnistes engendreraient de plus forts accroissements de salaires et une fragilisation de la croissance, les coûts plus élevés du travail réduisant l’emploi. De plus, même si l’inflation française ne représente qu’une fraction de l’inflation européenne, ce surcroît d’inflation induira à terme une plus forte hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) qui viendront aussi freiner l’activité économique.

Si le bouclier tarifaire, en application en 2022, n’était pas reconduit en 2023, et ce de façon non anticipée, alors les prévisions pour 2022 ne seraient pas modifiées mais celles pour l’année 2023 seraient dégradées : la croissance serait presque divisée par deux (passage de 1 % à 0,55 %) et il y aurait 0,4 point d’inflation en plus.

Ce surcroît d’inflation induit par la non-reconduction du bouclier tarifaire en 2023 peut sembler modeste. En effet, l’effet mécanique de l’arrêt du bouclier est inflationniste, les prix « subventionnés » devenant les prix « effectifs ». Toutefois, comme le bouclier de 2022 a permis de ne pas enclencher une boucle prix-salaire qui était au maximum de sa puissante au moment de la forte hausse des prix de l’énergie (c’est-à-dire en 2022), l’inflation s’accroît modestement par rapport au scénario avec un bouclier sur deux années.

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Concernant la trajectoire de la dette publique, le coût du bouclier est en partie absorbé par le surplus de croissance et donc de recettes fiscales qu’il crée : la hausse de la dette est de 2,2 points de PIB alors que le coût ex ante est de l’ordre de 3 points de PIB. La moins forte hausse des taux d’intérêt qu’il assure permet aussi de modérer les accroissements de la charge de la dette.


Il y aurait eu davantage d’inégalités

Le bouclier tarifaire a également permis de réduire les inégalités. En effet, les ménages les moins favorisés sont les plus touchés par les hausses de prix de l’énergie car ils y consacrent une part plus importante de leurs revenus.

Avec le bouclier, un ménage favorisé (revenu parmi les 10 % des plus élevés) consomme 2,4 fois plus qu’un ménage modeste (revenu parmi les 10 % des plus bas). Sans le bouclier, les inégalités se seraient davantage accrues, un ménage favorisé pouvant consommer jusqu’à 2,5 fois plus qu’un ménage modeste. Sans le bouclier tarifaire, la crise énergétique est plus inflationniste et réduit plus fortement les possibilités de consommation de ceux pour qui le travail est la principale source de revenus, c’est-à-dire les ménages modestes.

Le bouclier tarifaire, en sauvant des emplois et en contenant l’inflation, aide donc davantage les ménages fortement dépendants des revenus du travail.


L’indexation des salaires est-elle souhaitable ?

Dans ce contexte inflationniste, certains ont défendu l’idée d’accompagner le bouclier tarifaire par une indexation plus rapide des salaires sur les prix. Nos estimations montrent qu’une telle indexation permet effectivement aux employés de voir leurs salaires réels horaire croître. Cependant, le nombre d’heures travaillées chute ce qui in fine réduit la masse salariale et la croissance. La perte de croissance est ainsi de 0,63 point en 2022 alors que le gain en 2023 est minime, 0,03 point. L’inflation est accrue de 1,1 point en 2022 et 0,2 point en 2023.

Ce contexte inflationniste provoque à moyen terme une hausse plus forte des taux d’intérêt, alourdissant la charge de la dette : le ratio dette sur PIB augmente de 1,6 point par rapport au scénario sans indexation. Enfin, comme l’indexation s’applique à tous salariés, elle ne permet pas de réduire les inégalités, ne faisant que réduire les heures travaillées de tous les employés, et donc le pouvoir d’achat de toute la population.

Enfin, comme l’indexation s’applique à tous les salariés, elle ne permet pas de réduire les inégalités.


Quid d’une politique redistributive de relance ?

Une alternative au bouclier tarifaire aurait été de distribuer un « chèque » à tous les ménages d’un montant correspondant à une dépense incompressible d’énergie. Nous supposons que cette dépense incompressible correspond à 20 % de la consommation d’énergie du consommateur médian, soit approximativement 500 euros par ménage pour un coût budgétaire de 15 milliards (25 % du coût du bouclier tarifaire).

Cette politique de relance est aussi redistributive car ce transfert identique pour tous représente une part plus grande de budget pour les plus modestes : 31 % de la consommation d’énergie pour les 10 % les plus pauvres, contre 14 % pour les 10 % le plus riches.

Nos estimations indiquent alors que cette politique augmente le taux d’inflation de 1,4 point en 2022 et 1,9 point en 2023, celui-ci étant même supérieur qu’en l’absence de bouclier car au choc d’offre inflationniste, vient s’ajouter la hausse des prix liée au supplément de demande des ménages.

 

 

Ce soutien par la demande permet toutefois un certain maintien de la croissance : 0,44 point de croissance est gagné en 2022 et 0,35 en 2023, par rapport à une économie sans bouclier tarifaire. Mais si l’on fait maintenant le bilan de cette politique en la comparant au bouclier tarifaire, elle enregistre un déficit de croissance de 0,85 point en 2022 et un gain de 0,27 point pour 2023, soit un 0,45 point de croissance annuelle perdu en moyenne sur ces deux années.

Le bilan financier du gouvernement est aussi dégradé : même avec une réforme moins coûteuse, la croissance perdue et la plus forte hausse des taux d’intérêt, induite par le surcroît d’inflation, conduisent à une hausse de 6,8 points le ratio dette sur PIB.

Du côté des inégalités, cette politique redistributive permet de les réduire plus fortement puisqu’un ménage favorisé ne consommerait plus que 2,05 fois plus qu’un ménage défavorisé. Toutefois, cette réduction des inégalités se produirait dans une économie où tous les ménages consommeraient moins que dans l’économie avec bouclier tarifaire.

Ces analyses indiquent donc clairement que, face à un choc d’offre tel que le choc énergétique, une politique de demande redistributive telle que celle que nous avons testée est « naturellement » dominée par une politique d’offre telle que le bouclier tarifaire. Elles indiquent aussi que l’indexation des salaires fragilise la croissance et l’emploi. Le bouclier tarifaire serait donc un bon compromis entre inflation, croissance, pouvoir d’achat mais aussi inégalités, dont le creusement a également pu être limité par cette mesure.

 

 

Auteurs :
François Langot | Enseignant-chercheur en économie à Le Mans Université, laboratoire GAINS et Directeur adjoint de l’Institut du Risque et de l’Assurance et chercheur à l'Observatoire Macro du CEPREMAP
Fabien Tripier | Professeur d'économie et chercheur à l'observatoire macro du CEPREMAP, Université Paris Dauphine - PSL
Jean-Olivier Hairault | Professeur d'économie et Directeur Scientifique de l'Observatoire Macro du Cepremap, Paris School of Economics – École d'économie de Paris
Selma Malmberg | Doctorante en macroéconomie au CEPREMAP, Chargée d'enseignement, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons
Lire l’article original.

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